[Rang 1] "Vol à la tire"

Noire. C'était certainement l'adjectif qui pouvait le mieux qualifier la nuit en ce quartier de Gotham. Situé au beau coeur du West Harlow, la Chinatown commme les gens l'appelaient n'était pas le genre d'endroit que l'on fréquentait une fois le soleil couché. Lieux de tous les abus, des crimes les plus sordides et des manipulations les plus occultes, la zone était globalement dirigée par Lynx et son gang d'asiatiques psychopathes : les Dragons d'Or. Cependant, les rumeurs allaient bon train quant à la venue sur le marché de l'intimidation d'un petit groupuscule d'adolescents bien décidés à se faire de l'argent de poche. A coup de rackets, braquages hasardeux et autres vols à la tire, ils avaient fini par se faire connaître un peu trop des services de police autant que des renseignements des Dragons d'Or. Et cela, c'était inacceptable.

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Liam frissona. Il avait horreur de ce genre de jobs. Laissant sa famille dans un profond sommeil, il s'était éclipsé par une fenêtre dès que la lune avait pointé par-dessus la cime des lointains immeubles du centre-ville. Désormais, il était perché sur le toit d'un bâtiment tout aussi lugubre que les venelles pleines de déchets qui l'entouraient, dans l'attente que ses cibles daignent faire leur apparition. Un certain Lu-Pan - type tout à fait louche au demeurant - avait pris contact avec lui par le biais d'un réseau de mercenariat auquel appartenait le Neil. Sa capuche rabattue sur son front, son visage dissimulé dans l'ombre, il était dorénavant Haiaiel, ange de l'injustice. Quelle ironie que de porter ce patronyme quand l'on exécute de piètres contrats pour la pègre locale. Mais dans ce milieu, les payes étaient bonnes ; et passer sur une source de revenue était un luxe que le garçon ne pouvait se permettre.

Onze heures sonna au loin, de vieilles cloches fatiguées lançant leurs appels lancinant à tout Gotham. Une heure à laquelle les gens circulant dans les rues ne s'y trouvaient que par contrainte, ou parce qu'il s'agissait de leur travail, si vil soit-il. Les seules informations que ses commanditaires avaient daigner lui donner étaient qu'il y avait de fortes chances pour que la bande d'adolescents épris de vandalisme s'en prenne à la boutique d'un épicier de nuit. Malheureusement pour eux, ledit épicier payait mensuellement son dû aux Dragons d'Or et il était hors de question pour le gang qu'un de leurs clients pâtisse d'une quelconque aggression. Il fallait mettre un terme à tout agissement suspect et c'était à Liam qu'incombait la tâche d'effrayer les braqueurs. Un Liam qui commençait sérieusement à s'impatienter et se dire que les renseignements étaient aussi corrompues que Gotham elle-même.

Pourtant, alors qu'il allait finir par s'assoupir, accroupi au bord de la toiture, des éclats de voix résonnèrent dans la rue en contrebas. Surgissant de l'ombre avec la discrétion d'un troupeau de bisons pourchassé par des loups, quatre individus firent leur apparition dans la lumière blâfarde des lampadaires. Encagoulés, ils portaient des vêtements tout-à-fait communs. A en juger par les styles vestimentaires - habits amples et peux colorés - et la démarche, c'est à peine si Haiaiel leur accordait la majorité. Le troisième faisait d'ailleurs montre d'un manque certain de goût en terme de par-dessus. Le trio fit une pause à l'entrée de l'épicerie de nuit puis, sur un signe de celui qui paraissait être le leader, ils entrèrent comme un seul homme dans la boutique en brandissant des couteaux à cran d'arrêt. Le mercenaire soupira et entreprit de se laisser glisser le long des échelles de sécurité successives.

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Jetant un rapide coup d'oeil dans le commerce, Haiaiel jaugea la position de ses opposants. Le premier se tenait devant le comptoir, couteau en avant dirigé vers le pauvre épicier. Le deuxième essayait de surveiller vaguement les alentours et faire le guet, mais il ne remarqua pas Liam. Le troisième, quant à lui, allait gaiement dans les rayons, dérobant ci une boîte de gâteaux, là une boisson alcoolisée. Décidément, il s'agissait d'un groupe d'amateurs qui n'avaient aucune expérience du combat, si ce n'était celle que leur offraient les différents bagarres de rues dans lesquelles ils avaient baigné depuis tous petits. Haiaiel inspira profondément et, dès lors que celui chargé de monter la garde tourna la tête vers la porte du fond, il se coula dans l'ouverture.

*Ti-ling*

Le tintement de la clochette au-dessus de la porte fit sursauter les trois malfrats. D'un même mouvement ils pivotèrent vers l'entrée, le plus proche balbutiant vaguement un "Qui va là ?" en faisant trembler sa lame à bout de bras. Mais ils ne trouvèrent rien d'autre que la noirceur de la rue à travers le verre de la vitre. Toutefois, ils commencèrent à paniquer, et le chef du groupe accéléra la cadence en faisant le tour du comptoir.

"Grouille-toi ! Vide la caisse, on a plus le temps pour toutes ces conneries !"

Agitant son cran d'arrêt sous le nez du commerçant terrorisé, il arrache lui-même le tiroir-caisse et tendi un vieux sac de toile à son otage. Le geste ne trompait pas et l'épicier commença à glisser son maigre revenu dans le sac en question.

*Pof*

Le bruit provenait de la chute d'un corps. Celui de celui qui montait la garde. Désarmé et inconscient, il gisait non loin de l'entrée. Plus rien ne bougeait, si ce n'étaient les genoux du deuxième braqueur qui tremblaient comme des feuilles. Lâchant les biens amassés au cours des dernières minutes, il tira de sa poche un second couteau et lacéra l'air devant lui en lançant :

"Montre-toi ! On a pas peur de toi !"

"Soit." fit Haiaiel en surgissant dans son dos.

Quelques frappes judicieusement placées et les bras de son adversaire tombèrent ballants le long de son corps. Les lames cliquetèrent en touchant le sol, et Liam enchaîna avec un coup du tranchant de la main dans la nuque du garçon, qui s'effondra sans mot dire. Encapuchonné, le mercenaire s'approcha doucement du troisième adolescent qui, prenant des mesures désespérées, tenait son couteau contre la gorge de son otage improvisé.

"T... T'approche pas ! Ou... ou j'le bute ! Je peux l'faire !"

Le pauvre essayait autant de convaincre Haiaiel que de se persuader lui-même qu'il avait complètement basculé dans le sombre univers du crime. Liam s'arrêta, son visage toujours dissimulé, et déclara d'un ton calme :

"Je ne suis qu'un messager. Les Dragons d'Or voient vos agissement d'un très mauvais oeil, et ceci fait uniquement office d'avertissement. Si ils avaient voulu vous tuer, vous seriez tous les trois déjà en train de flotter dans la Gotham River à l'heure qu'il est."

L'autre dégluttit avec force bruits. Lui et ses compagnons n'avaient visiblement jamais envisagé que leurs petits tapages nocturnes prendraient une telle allure. Et de telles proportions. Paniqué, il continuait de tenir fermement l'épicier qui levait les mains au ciel sans réellement savoir quoi faire.

"Si tu lâches cet homme, je t'autoriserai à partir avec tes amis. Ne m'oblige pas à te blesser. Il me suffirait d'un instant pour te mettre à terre et éventuellement retourner ce couteau de mauvaise facture contre toi."

Toujours hésitant, il finit néanmoins par accepter l'offre. Il repoussa violemment le commerçant qui tomba au sol derrière le comptoir et rejoignit ses camarades. Un à un, il les réveilla en pointant toujours son arme vers Haiaiel. Les autres émergèrent et, en voyant que leur agresseur était encore présent, se précipitèrent vers la sortie sans demander leur compte. Quand l'épicier se redressa, la boutique était vide.