[Campagne] Oscar Parrain - Chapitre 1

Un Walden qui s’en va, et un Alfonso qui se faisait attendre. Dans la vie, personne ne réalisait vraiment l’impact que pouvaient avoir ces moments d’attente. Certaines idées de génie provenaient de ce genre d’instant, où l’on n’a rien d’autre à foutre que de penser. Planté à l’angle de la douzième tel un mont inamovible, Oscar regardait les gens passer. Toutes ces personnes qui ne prenaient pas le temps de penser. La société actuelle était si bien construite que peu de gens se rendaient réellement compte de ses énormes travers. L’empressement était l’une des plus belles inventions pour contrôler la masse. Ne pas arriver en retard au boulot, à un entretien, à un évènement culturel, à un rendez-vous galant. Arriver à l’heure partout, tout le temps, toujours sur la route. De sorte qu’à ce que, une fois tranquillement installé chez soi, on soit trop fatigué pour réfléchir.

Dans sa situation actuelle, le vieillard ne pouvait faire qu’attendre que Walden lui choppe des infos. Il n’était pas possible de partir en guerre sans ça. Foncer tête baissée ne rapporterait rien de bon. La dernière fois qu’il l’avait fait, huit ans plus tôt en Malaisie, ça s’était soldé par un carnage. Cette expérience n’avait rien eu d’agréable et Oscar n’était pas prêt de vouloir recommencer. Bien sûr, son tempérament impulsif lui avait valu quelques problèmes. Mais c’est parce qu’il était sur le ressentiment du moment. Une fois la tête à froid, il devenait des plus redoutables. Une de ses connaissances avait d’ailleurs dit un jour à son propos : « Oscar, si tu veux l’choper, faut l’faire quand il est chaud. Mais quand il moufte pas, qu’il est peinard… laisse-le tranquille ». Depuis ce jour, des décennies auparavant, Oscar Parrain s’était efforcé à travailler son sang-froid et la maîtrise de ses émotions. Bien sûr, c’était un apprentissage aux écarts indénombrables et, qui plus est, perpétuel. D’ailleurs, Alfonso commençait tout doucement à faire monter la colère en lui. Il n’avait rien contre les retards, s’ils étaient peu nombreux. Mais si le dépassement de délai était une discipline olympique, alors Alfonso en serait assurément le médaillé d’or.

Enfin, Alfonso débarqua. Il avait le souffle court, comme s’il venait de se taper un marathon pour venir ici. De grosses auréoles ternissaient sa chemise et il parla vite. Oscar n’écouta pas le moins du monde, il détestait les excuses. Pour lui, c’était l’apanage des lâches, de ceux qui ne savaient pas affronter les conséquences en face. Il ne capta que la fin de sa tirade.

- Ah ouais ? Et le jour où un type braque son flingue sur la tempe de ta femme, de ton gosse, ou de qui sais-je, et qu’il dit qu’il te laisse dix minutes pour arriver les sauver, qu’est-ce que tu diras quand, en retard comme d’habitude, tu te retrouveras face à leur cadavre ? « Mieux vaut tard que jamais » ? Enfin bref, on t’changera plus.

Oscar baissa son regard et constata la présence d’une arme à feu dans le pantalon du rital. Il ne dit rien à ce propos, mais il détestait les flingues. C’était beaucoup trop facile, il suffisait de viser et d’appuyer sur une détente. Aucun contact, aucun effort, aucun courage, aucun respect. Alfonso lui proposa alors de parler de la situation à l’intérieur d’un Starbuck Coffee. Le vieillard leva la tête, fixant l’enseigne verte. Il n’était jamais rentré dans un de ces cafés, il s’était toujours demandé si on servait de l’alcool là-dedans. Il accepta et les deux compères entrèrent, s’installant à côté d’une vitre. Une serveuse arriva rapidement et il commanda un Irish Coffee, malgré le fait qu’il ne soit encore que 9h30. Malheureusement, ils n’en servaient pas. Alors il commanda un café ultraserré noir et sans sucre.

- Bon, mon p’tit pote, j’aurais bien voulu te présenter Walden mais vu que t’as ‘core traîné… ‘fin bref, il connaît des types qui pourraient peut-être choper des infos. Et je dis bien « peut-être ». C’est pour ça que j’me demandais si t’avais encore des types à toi sous l’coude. Je sais bien qu’ils doivent chier dans leur froc après les assauts de Benneli, mais j’leur demande pas de jouer les portes-flingues, ni faire passer un message. Tout ce que j’aimerais, c’est qu’ils laissent leurs oreilles traîner à East End. Tout ce qu’ils pourront nous rapporter nous sera utile, crois-moi. Tu comprends, si j’ai pas un minimum d’informations, j’peux pas établir un plan. Tu m’connais, j’suis pas du style à démonter la porte du saloon d’un coup de pied et à flinguer tout ce qui est à l’intérieur. Moi, c’est la porte de derrière qui m’intéresse. Le savoir et les connaissances seront toujours des armes infiniment plus puissantes que la poudre ou les lames. Alors passe des coups de fil, et s’ils rechignent pour une histoire de fric, dis-leur que je peux participer à leur financement.

Oscar soupira à la fin de son discour. Il lui avait déjà demandé, pas plus tard qu'hier, de faire bouger ses hommes. Mais Alfonso lui avait dit en arrivant qu'il n'avait rien trouvé. Cela voulait dire qu'il n'avait tout simplement rien fait. C'était peut-être une histoire de fric, c'est pour ça qu'Oscar avait parlé de financement. Il toisa Alfonso, attendant de sa part une réponse ainsi qu'une motivation visible et évidente.